Qu’est-ce que la beauté ?
La dernière exposition de l’artiste à Lucerne présente à la fois une vision philosophique et une technique innovante de la beauté.
Qu’est-ce que la beauté ? C’est une question très ancienne, tant pour l’artiste que pour l’homme de la rue en général.
Après mille ans de débats, la meilleure réponse à ce jour a probablement été “La beauté est dans l’œil de celui qui regarde”, des mots largement attribués à Margaret Wolfe Hungerford dans son roman de 1878, The Duchess (La Duchesse). Mais bien que perspicace, cette phrase n’a jamais été entièrement satisfaisante.
Les réponses aux grandes questions de la vie ne se trouvent pas toujours sous la forme de mots. Parfois, l’art peut apporter un regard neuf sur les choses. C’est le cas de la dernière exposition de Christian Bolt : La dernière exposition de Christian Bolt, On Human Beauty, à la galerie Impulse de Lucerne, en Suisse.
Lorsque l’on voit ses figures de marbre en chair et en os (pour ainsi dire) et qu’on l’entend parler de son travail avec autant de passion et de poésie, il est évident que cet artiste mérite l’attention du monde entier.
Qui est Christian Bolt ?
Né à Uster, en Suisse, en 1972, Christian est un sculpteur et un peintre qui vit aujourd’hui dans les montagnes suisses de Klosters, dans le canton des Grisons. Entre-temps, son parcours créatif l’a mené aux quatre coins du monde.
À 16 ans, il s’est inscrit à la Schule fur Holzbildhauerei (école de sculpture sur bois) de Brienz, où il a étudié pendant quatre ans. Il a ensuite voyagé et séjourné en Allemagne et aux États-Unis, avant de s’installer en Italie. Il y a obtenu une maîtrise en beaux-arts à l’Accademia di Belle Arti de Florence, l’académie d’art traditionnelle et la plus ancienne d’Europe, où il a étudié la technique et les matériaux de la sculpture, l’histoire de l’art et l’anatomie.
En 2003, Christian est retourné dans son pays natal et a ouvert un studio à Zurich. En 2014, il est devenu le premier sculpteur suisse à recevoir le titre de professeur à son alma mater.
Christian s’inspire énormément de la philosophie et de l’histoire culturelle occidentales, en particulier de la Renaissance, mais son art ne se contente pas d’imiter les styles classiques. Au contraire, son travail jette des ponts entre le classique et le présent d’une manière qui le rend passionnément pertinent pour le monde du 21ᵉ siècle.
Tout au long de sa carrière artistique, qui a débuté en 2001, Bolt a été fasciné par les tensions entre le sublime et la nature limitée de l’existence humaine, ainsi que par le dialogue entre l’art et le spectateur.
Il travaille principalement le marbre obtenu à Carrare, en Italie, dans la même carrière que celle où Michel-Ange a trouvé sa pierre, bien que sa sculpture s’exprime également dans le bronze, le travail du bois et d’autres matériaux.
Qu’est-ce que la beauté ?
S’étendant sur les 440 m² de la galerie, l’exposition On Human Beauty présente 14 sculptures, ainsi que des peintures et des dessins, dont beaucoup ont été commandés exclusivement pour cette exposition. Ces œuvres d’art diffèrent considérablement en termes de taille, de forme et de matériau, mais un thème visuel sous-jacent les unit toutes.
Et ce n’est pas un hasard, car une philosophie claire sous-tend ce travail. L’inspiration centrale réside dans la célèbre citation de l’écrivain autrichien Karl Kraus : “L’amour et l’art n’embrassent pas ce qui est beau, mais plutôt ce qui est rendu beau par leur étreinte”.
Cette citation réfute essentiellement l’idée qu’il existe un état inné, objectif et platonicien de la beauté. Au contraire, la beauté existe dans le cadre d’une interaction vertueuse entre les artistes, les relations sociales et la vérité objective.
En d’autres termes, nous aimons les choses qui sont belles, mais nous rendons également les choses belles en les aimant, et nous rendons belles les choses que nous aimons. C’est une danse sans fin qui est si instinctive que nous ne nous en rendons généralement pas compte… mais le travail de Christian attire l’attention sur ce processus d’une manière unique.
Par exemple, ses personnages en marbre sont magnifiquement sculptés et, vus de loin, on pourrait croire qu’il s’agit d’œuvres classiques sauvées d’un site archéologique et restaurées pour retrouver leur gloire d’antan. Mais on s’aperçoit ensuite que les visages sont généralement absents, de même que les jambes, les pieds et d’autres parties du corps.
Il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’un clin d’œil à la nature souvent brisée des statues antiques dans les musées. Au contraire, l’artiste a délibérément laissé les statues inachevées, afin de commenter la dichotomie entre la beauté naturelle et l’artifice créé par l’homme.
Et c’est là que réside l’essentiel de ce qui est vraiment fascinant dans le travail de Christian. Il prend deux approches très différentes, apparemment diamétralement opposées – l’art figuratif et l’art abstrait – et les fusionne en une seule. Mais il ne voit pas cela comme une contradiction.
En effet, il affirme que les cultures anciennes telles que les Grecs, les Égyptiens et les Étrusques voyaient toutes l’art comme un équilibre entre l’abstraction et la figuration. Dans notre monde moderne, cependant, nous avons inutilement séparé ces deux facteurs, et il s’est donné pour mission de les unir à nouveau.
Peintures sur marbre
De même, la façon dont Christian passe du marbre au bois et à l’huile peut sembler aléatoire, mais elle repose sur des bases philosophiques solides. Il parle d’un triangle entre le contenu, la forme et les matériaux, chacun informant l’autre.
De ce point de vue, l’artiste a déjà critiqué l’arbitraire et la banalité d’une grande partie de l’art contemporain et postulé un retour à l’unité traditionnelle de l’idée et de la forme dans les œuvres d’art.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il se contente de jouer les plus grands succès de la Renaissance ; au contraire, il ne cesse d’expérimenter et d’innover. Il a par exemple mis au point un moyen de réaliser des peintures en 3D avec de la poussière de marbre.
L’un des points forts de l’exposition est constitué par deux diptyques de trois mètres de long qui mettent en valeur cette nouvelle technique. Il m’explique que cette approche est née d’une réaction au fait que la sculpture sur marbre implique un prélèvement (sur un bloc de marbre), un processus destructeur. Ces nouvelles peintures sur marbre, en revanche, ont pour but d’ajouter ; en d’autres termes, elles sont littéralement constructives.
Christian Bolt On Human Beauty est à la galerie Impulse, Haldenstrasse 19, Lucerne, Suisse, jusqu’au 23 décembre 2023.