Peut-on être graphiste au pays des Templates ?
Créatifs face aux templates : concurrence déloyale
Depuis quelques années, nous assistons à un glissement des demandes graphiques (bornes interactives, web, application mobile, jeux…) de la part des commanditaires. Je remarque depuis un certain temps, que l’on conçoit de plus en plus des outils et non plus des objets formellement finis (virtuel ou non). Le travail et les compétences des designers et des graphistes doivent donc évoluer.
Les graphistes perdent le pouvoir
Ce mouvement s’est considérablement amplifié avec l’avènement du web collaboratif (web 2.0). Dorénavant, la partie Back Office est aussi, voir plus, importante, que le Front Office (partie visible pour le visiteur). Nos clients veulent absolument tous avoir la main sur le contenu et l’organisation de ce même contenu. Nous allons donc devoir créer et imaginer des systèmes de navigations, une direction artistique, une cohérence visuelle… mais sans avoir le « final cut » sur la version définitive en ligne et visible par les internautes.
Nous allons créer des gabarits (les fameux Templates), des possibilités mais sans pouvoir contrôler graphiquement l’aspect final. C’est comme de créer une maquette graphique de journal papier que nous laisserions à disposition des rédacteurs et des journalistes. Ils choisissent eux-mêmes dans un catalogue de gabarits prédéfinis (2, 3 ou 4 colonnes, taille des caractères…) et envoient ça directement à l’imprimeur sans aucun contrôle et modification de la part du directeur artistique ou du graphiste.
Les graphistes doivent donc abandonner une partie de leur pouvoir et responsabilité issues du graphisme papier. Un graphiste responsable de la création et conception d’un catalogue, par exemple, se doit normalement de suivre la fabrication jusqu’au bout de son ouvrage. S’il le peut, il va voir directement à l’imprimerie la naissance de son « bébé ». Il est co-responsable (avec l’imprimeur) devant le client des éventuels problèmes techniques d’impression, de fabrication… bref il doit assumer le produit final.
Avec les nouveaux sites web et autres applications interactives, le designer/graphiste perd son contrôle total sur la forme de l’objet. Il doit jouer avec des possibilités, des contraintes, des extrêmes… il donne des indications, il dirige graphiquement plutôt qu’il ne maîtrise totalement la forme du produit son travail. Il faut bien sûr citer les systèmes de blog permettant à presque n’importe qui de faire son propre site web, faire sa boutique en ligne et de diffuser photos, vidéos, texte … très rapidement, facilement et gratuitement (dans la majorité des cas).
Les sites web se ressemblent tous (mêmes gabarits répétés à l’infini), bref plus aucune identité visuelle pour ces futurs sites. L’expérience utilisateur restera la même, entre un site de vente de chaussette, de bijoux ou un site sur la prévention du Sida. Graphiquement on utilise des gabarits prédéfinis, on change un peu la couleur du fond et le logo (merci les CSS), et le tour est joué (à très court terme). Au niveau ergonomie et navigation, on applique des règles toutes faites énoncées par des pseudos gourous du web rassurant tout le monde. Et pour finir ce tableau idyllique, les développeurs font du copier coller de codes préexistants.
L’attitude possible chez les graphistes, la radicale, je refuse de laisser le contrôle formel de mes travaux à une technologie, donc je reste sur le support papier définitivement. Sur ce support, je choisi ma police de caractère, mon papier, mon format, mes couleurs… je garde donc un très grand contrôle formel sur l’objet fini. Personnellement sans être aussi je pense qu’investir ces nouveaux espaces électroniques est essentiels, même si cela veut dire perdre un peu du contrôle et du pouvoir que nous avions sur la formalisation des choses.
De toute façon si les graphistes et designers n’occupent pas la place et démontrent les possibilités créatives de ce support, d’autres le feront. Un des gros avantages du Web est sa flexibilité, qui permet de prendre des risques et où la correction est toujours possible. N’essayons donc pas de nous rassurer avec des recettes toutes faites qui pourraient juste servir des approches utilitaires aux créations sur support électronique. Sur le support électronique (principalement le Web), la forme est changeante, presque non contrôlée, nous avons donc un déplacement de la notion d’auteur dans le graphisme.
Evolutions du métier de graphiste
Le métier de graphiste va et doit donc évoluer vers une conception plus proche du designer objet ou industriel. En effet, nous allons de plus en plus développer des outils, des interfaces, des images à manipuler, nous devons prendre en compte dorénavant la notion d’usage de nos images. L’ergonomie et les aspects techniques rentrent désormais en compte. Nos productions vont être de plus en plus un mixte entre image, typographie, image en mouvement et objet manipulable par l’intermédiaire d’une souris, d’un écran tactile ou autres interface d’entrées. Les logiques employées vont se situer à la convergence du design graphique et du design objet. De nouveaux métiers vont s’affirmer comme les designers d’interaction et les architectes d’information…, les graphistes vont donc devoir se repositionner. Mais pour cela les designers graphiques doivent s’impliquer techniquement afin de mieux appréhender les possibilités et les contraintes de ces nouveaux outils. Il faut tout de même signaler qu’il est beaucoup plus facile pour un ingénieur/développeur de devenir un bon designer que le contraire.
Nous arrivons donc à la conjonction de l’art contemporain, du design graphique, du design objet, de l’ergonomie, de la technique… Bref un champ des possibles absolument gigantesque qui bouleverse les positionnements classique des métiers.
Source : www.my-os.net